La gouvernance du groupe Doux
Une meilleure gouvernance du groupe Doux aurait-elle permis d’éviter la catastrophe ?
Il est bien difficile de savoir comment est organisée la gouvernance de ce groupe aujourd’hui en grave difficulté avec 3700 emplois directs et bien plus d’indirects en jeu, des villes de Bretagne et de Vendée menacées d’appauvrissement, tout l’écosystème de la filière avicole française menacé (alimentation des volailles, transporteurs, 800 éleveurs,…), 420 M€ de dettes bancaires dont 140 pour Barclays, des centaines de millions d’euros de subventions européennes (54 M€ en 2010, premier bénéficiaire français des aides de la PAC pour l’exportation des poulets congelés vers le Moyen-Orient), 8 M€ d’arriéré de charges sociales, stagnation des salaires depuis 2008,…
La société n’est pas cotée et le site ne donne aucune information sur le sujet, ni sur la direction générale, les principaux dirigeants etc… Le rapport de gestion est très sommaire. Pourtant ce groupe réalisait 1,4 Md € de chiffre d’affaires en 2010, qui se sont réduits à 880 M€ en 2011.
Le groupe est détenu à 80% par la famille Doux et 20% par BNP Paribas.
La presse ne s’intéresse pas au sujet de la gouvernance. Pourtant il serait instructif de savoir quelle a été l’action du conseil d’administration, chargé d’orienter les activités de toute entreprise et d’en surveiller la mise en œuvre.
Ce qu’il se dégage néanmoins de ces articles c’est que le Président directeur général Charles Doux, fondateur en 1960 de ce groupe qui a été un temps un grand industriel européen, prend souvent ses décisions sans beaucoup de concertation.
Plusieurs exemples.
- La mise en location de la filiale brésilienne acquise en 1998 et sans transfert des 300 M€ de dettes dont celle-ci est à l’origine sur un total de 420 s’est réalisé sans information du comité central d’entreprise. De même cette décision a été la cause de la rupture des négociations que le FSI avait engagées.
- Le 24 mai il est dit que, Charles, le « patriarche » reprend les commandes du groupe. Il nomme son fils Jean-Charles à la place de Guy Odry, directeur général délégué depuis 2003.
- Le CIRI, qui essayait de monter un plan de reprise, est pris de cours par la mise en redressement judiciaire le 1er juin à la demande de l’entreprise. Certains pensent que le fondateur ne voulait pas que les banques lui imposent un nouveau Directeur général.
- La nomination d’un nouveau Directeur général délégué le 24 juin semble avoir surpris les différents acteurs, en particulier les banques, qui se penchaient au chevet de ce groupe. La personnalité et les états de service du nouveau ne sont certes pas en cause. Michel Léonard a assumé plusieurs responsabilités de dirigeant dans l’agroalimentaire, en particulier chez Lactalis.
Alors regardons le conseil. Il est composé de seulement 3 membres, tous de la famille Doux: Charles Président directeur général, et deux Vice-présidents, Emmanuel et Jean-Charles, ce dernier étant également directeur général délégué.
BNP Paribas avec 20% n’est pas représentée. Une prudence bien avisée dans le contexte juridique français de la faillite ou une opportunité perdue d’influer sur l’avenir de ce groupe ?
Pourquoi les bonnes pratiques de gouvernance appliquées par les sociétés cotées ne s’appliqueraient elles pas à des sociétés ayant une certaine taille et donc un responsabilité importante sur le territoire ou l’économie ?
Ces bonnes pratiques recommandent entre autres que des administrateurs indépendants soient présents au conseil pour défendre les intérêts de tous les actionnaires et plus largement l’intérêt social de l’entreprise. De même est-il conseillé d’organiser une certaine diversité dans le conseil en particulier dans les points de vue et les compétences à même d’aider les dirigeants à réussir leur mission.
Pourquoi ne pas aller plus loin en associant dans la gouvernance les parties prenantes qui aujourd’hui vont payer le prix fort alors que les actionnaires n’ont qu’une responsabilité limitée à leurs seuls apports en capital ?
Certes la famille Doux est propriétaire de 80% du capital du groupe. Il faut effectivement respecter le droit de propriété individuelle qui est le fondement de notre société. Mais cet exemple dramatique ne montre-t-il pas qu’une entreprise n’est pas un bien comme un autre ?
Ce fut un des sujets abordés lors d’un débat que j’animais le 21 juin dans le cadre du Cercle des Administrateurs Sciences Po.
Olivier Favereau, professeur de sciences économiques et co directeur du département Economie, Homme, Société du Collège des Bernardins a rappelé les travaux menés depuis 3 ans qui montrent que l’entreprise n’existe pas en droit à la différence de la société. La « théorie de l’agence » a confondu les esprits. Les dirigeants ne sont pas mandataires des actionnaires mais de la société. Les actionnaires ne sont propriétaires que de titres de capital. Des nuances qui ont beaucoup d’importance mais qui ne sont pas encore perceptibles tant les habitudes sont ancrées.
Autre orateur, Daniel Valot, ancien Président directeur général de Technip et administrateur de plusieurs grandes entreprises, s’est dit favorable à ce que le capital humain, c’est à dire le personnel, et le capital organisationnel, les managers, soient représentés à l’assemblé générale. Pour lui, composer l’assemblée générale exclusivement d’actionnaires sera un jour aussi anachronique que le suffrage censitaire aux élections politiques.
Quelques pistes de réflexion pour les dirigeants d’entreprise qui souhaiteraient construire une entreprise qui assume ses responsabilités sociales.
Didier Serrat Président
Pierre Bouteille
25 juin 2012
Beau cas d’école en effet, p/ à la conf IFA-ScPo de jeudi.
Question : combien de DG délégués y a-t-il chez Doux actuellement ? Deux : Michel Léonard et J.Ch. Doux ?